Histoire et Géographie
Le blog d’histoire-géographie de Jérôme Bouffand
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Correction étude de documents : mémoires résistancialistes
Article mis en ligne le 14 août 2018

par jbouffand

Sujet :

Introduction
Après un événement majeur, les groupes sociaux qui les ont vécus produisent des récits collectifs de ces événements appelés "mémoires". Ces mémoires varient en fonction de l’expérience vécue par chaque groupe. Après la Deuxième guerre mondiale, les mémoires retraçant la guerre du point de vue de la Résistance sont les plus répandues dans la société française. On parle de mémoires résistancialistes. Les deux principales sont les mémoires gaullistes et communistes.
Comment et pourquoi les mémoires gaullistes et communistes entrent-elles en concurrence après la Deuxième guerre mondiale ?
Une première partie permettra de présenter les deux documents que nous avons à étudier. Ensuite, nous verrons comment ces deux documents révèlent l’existence de mémoires multiples de la Résistance.

Développement du premier axe
Le document 1 est un article anonyme paru dans la revue gaulliste "l’Etincelle" en août 1947. A cette époque, les deux grandes forces politiques que sont le gaullisme et le communisme se sont retrouvées exclues du gouvernement. Le Parti Communiste Français (PCF) mène un vaste mouvement de grèves pour montrer sa puissance dans la société française. Mais, dans le cadre de la Guerre froide qui débute, l’attitude des dirigeants du PCF ressemble fort pour les autres tendances politiques à une "marche à la dictature" (doc 1).
Le document 2 est une affiche de propagande politique du PCF, datant d’octobre 1945, à la veille des premières élections en France depuis la fin du conflit. Sur cette affiche, le PCF joue sur son rôle majeur dans la Résistance pour appeler les citoyens à "[adhérer] au Parti communiste français" (doc 2).

Développement du deuxième axe
Ces deux documents sont révélateurs de la construction d’une mémoire. Une mémoire s’organise généralement sur un canevas stéréotypé mêlant héros, martyrs, traîtres, ennemis et lieux ou événements symboliques.
Le héros dans la mémoire gaulliste n’est pas le même que dans la mémoire communiste. Le héros principal de la mémoire gaulliste est évidemment "le général de Gaulle", ainsi que quelques héros de la Résistance comme "le colonel Rémy" ou encore Jean Moulin. Dans la mémoire communiste, c’est "le Parti communiste français, qui a le plus fait d’efforts et le plus versé de sang pour délivrer la Patrie" (doc 2) qui est le véritable héros. Derrière lui, quelques figures de résistants émergent, comme par exemple Rol-Tanguy, chef des FTP parisiens.
La mémoire communiste insiste particulièrement sur ses martyrs, "morts pour que vivent la France", "par dizaines de milliers" (doc 2). Le parti communiste se définit comme le "parti des fusillés", revendiquant jusqu’à 75 000 membres fusillés par les Allemands. Or en réalité, un nombre bien plus faible de résistants a été exécuté par les Allemands, et tous n’étaient pas communistes. Il n’en reste pas moins que le Parti communiste était effectivement l’une des principales forces combattantes de la Résistance. La mémoire gaulliste s’appuye également sur les résistants morts au combat ou en prison, comme Jean Moulin ou les maquisards des Glières et du Vercors.
Les mémoires se construisent également sur le rejet des traîtres et des ennemis. L’ennemi est évidemment "l’Allemagne nazie" (doc 1), et le traître par excellence demeure le régime de Vichy et ses partisants. Cependant, l’auteur anonyme de l’article de "l’Etincelle" dénonce les "chefs communistes qui [...] donnaient tout leur soin au noyautage politique" dans une "tactique dans la marche à la dictature" (doc 1), à l’exemple de la soviétisation de l’Europe de l’Est que l’URSS mène à ce moment derrière le Rideau de Fer. Les communistes ne sont pas en reste, et accusent de Gaulle d’être inféodé aux Américains et aux Anglais, et d’aspirer lui-même à la dictature.
Une mémoire n’est jamais qu’un simple récit d’un événement. Elle a toujours un objectif : légitimer des ambitions politiques, justifier ou excuser certains comportements, ou revendiquer des réparations matérielles ou symboliques. Les mémoires résistancialistes servent de justification aux ambitions politiques des mouvements issus de la Résistance. Cela explique la concurrence entre mémoires communiste et gaulliste. Quand la mémoire communiste met en avant les "efforts" et le "sang" que le Parti communiste aurait versé plus que tout autre (doc 2), la mémoire gaulliste revendique l’antériorité de la résistance gaulliste, rappelant "qu’il a fallu attendre jusqu’en 1941 et l’agression hitlérienne contre la Russie pour que le parti communiste abandonne sa politique de neutralité envers l’Allemagne nazie" (doc 1), alors que "[les] FFL et [les] FFC de l’intérieur [...] « tenaient le front » depuis 1940", c’est à dire depuis l’appel du 18 juin lancé par de Gaulle à la BBC, et qui est considéré dans la mémoire gaulliste comme l’acte fondateur de la Résistance. Ces controverses, qui pourraient paraître futiles au vu du rôle somme toute secondaire joué par la Résistance dans la défaite de l’Allemagne nazie, ont en réalité pour enjeu de déterminer qui sera "le grand parti de la renaissance française" (doc 2). Si le Parti communiste revendique ce rôle, les gaullistes souhaiteraient le voir endossé par le général de Gaulle.

Conclusion
Les mémoires résistancialistes vont dominer dans l’opinion publique française jusqu’à la fin des années soixantes, avant de décliner sous le coup de la disparition de leurs acteurs principaux (mort de de Gaulle, déclin politique du PCF), mais aussi face aux progrès de la recherche historique qui permettent de remette le rôle de la Résistance en perspective. Aujourd’hui cependant, malgré un certain déclin, la mémoire gaulliste continue à être très présente dans l’opinion publique.