Histoire et Géographie
Le blog d’histoire-géographie de Jérôme Bouffand
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Correction étude de documents : expérience combattante
1ere
Article mis en ligne le 14 août 2018

par jbouffand

Sujet de l’étude de documents :

Remarques : Ce corrigé correspond évidemment à une copie excellente. C’est le type de production vers quoi vous devez tendre, mais mes exigences lors des épreuves communes de la semaine prochaine seront évidemment moins élevées.
Vous remarquerez :
 que les citations sont systématiquement entre guillemets et intégrées à la rédaction
 qu’elles sont toujours expliquées par des connaissances

Bonne lecture !

Phrase d’introduction (facultative) :
La Première guerre mondiale inaugure une nouvelle façon de faire la guerre. L’expérience de ce conflit marquera durablement les combattants et les sociétés européennes.

Présentation des documents :
Le document 1 est un extrait de l’autobiographie de Marcel Carpentier, publiée en 1964. Dans cet extrait, il décrit son expérence de jeune officier dans les tranchées en décembre 1914. Le document 2, intitulé "La chanson de Craonne", est une chanson datant de 1917 évoquant les difficultés de la vie des combattants.

Les difficultés de l’expérience combattante :
"huit jours de tranchée, huit jours de souffrance" : c’est ainsi que l’auteur anonyme de la chanson de Craonne résume les conditions de vie dans les tranchées. Marcel Carpentier évoque leur "état épouvantable", les "éboulements", "la boue", le "manque d’abri" (doc 1), qui oblige les soldats à vivre sous "la pluie qui tombe" (doc 2). En décembre 1914, la guerre de position vient à peine de commencer, et les tranchées restent très sommaires. En effet, le commandement français ne souhaite pas que l’armée gaspille ses efforts à améliorer le confort des tranchées. Alors que les Allemands occupent le nord du pays, il n’est pas question que les soldats s’installent durablement dans les tranchées : l’objectif est d’en sortir rapidement pour reprendre l’offensive et chasser les Allemands du territoire français. En 1917, malgré l’échec des offensives de Champagne (1915) et de la Somme (1916), l’état d’esprit du commandement français est toujours le même. Les conditions de vie et l’hygiène dans les tranchées sont donc difficiles : les soldats ressemblent "à [des] homme[s] des bois", "se repose[nt] comme [ils] peu[vent]" ou "cherchent leurs poux". Bien que les soldats bénéficient des services de santé de l’armée, le manque d’hygiène, la boue et l’humidité favorisent les maladies comme le typhus, la tuberculose, la grippe ou le pied de tranchée. Les rythmes de vie sont également bouleversés car beaucoup de choses se passent la nuit : Marcel Carpentier se souvient de la soupe arrivant "avant le lever du jour et à la tombée de la nuit", et du pain, courrier et conserves arrivant "à minuit" (doc 1). Quant à l’auteur de la Chanson de Craonne, c’est le "soir", "dans la nuit et dans le silence" (doc 2), qu’il attend la relève. Les corvées et les déplacements des soldats ont en effet souvent lieu la nuit pour ne pas être repérés et bombardés par l’ennemi.
Quand l’auteur de la chanson de Craonne décrit les soldats de la relève qui viennent "chercher leur tombe" (doc 2), ce n’est pas qu’une figure littéraire. Comme l’explique Marcel Carpentier, lorsqu’un soldat est tué, "on l’enterre, faute de mieux, dans le parapet de la tranchée, au risque de voir apparaître quelques jours plus tard son bras ou sa jambe" (doc 1). Cette fréquentation des morts, qu’on ne peut pas enterrer correctement en raison des tirs de l’adversaire, est l’un des éléments les plus traumatisant de la guerre. Le soldat vit au milieu des morts en attendant d’en devenir un lui-même, ce que la chanson de Craonne résume dans son refrain : "nous sommes tous condamnés, nous sommes les sacrifiés". De fait, 15% des soldats français mobilisés vont mourir au combat, et plus du double seront blessés. Le risque permanent de la mort ou de la blessure, la vie quotidienne au milieu des cadavres et le fait de donner soit-même la mort à un ennemi contribue à banaliser la mort et la violence dans la vie quotidienne des soldats : c’est ce que Claude Mosse appelle la brutalisation.
Enfin, l’éloignement des proches est une partie importante de la condition du soldat, qui doit dire "adieu aux civ’lots" (doc 2) et pour qui le courrier est "[l’]unique lien avec le monde civilisé". L’armée s’efforce de maintenir le contact entre les soldats et leurs familles par le biais du courrier, qui est distribué jusqu’en première ligne, pour que les soldats gardent le moral. En revanche, en raison de la croyance en une guerre courte, les soldats français seront longtemps privés de permissions pour rentrer chez eux. Ce n’est qu’après un an de guerre qu’un système régulier de permissions sera mis en place.

Regard critique sur les documents
Ces documents doivent cependant être replacés dans leur contexte pour mieux comprendre l’expérience combattante. Le document 1 décrit des tranchées de première ligne, "à 40m des Allemands", où les conditions de vie sont particulièrement dangereuses et misérables. Les soldats y passent en moyenne quatre jours, puis une durée égale en deuxième ligne, soit "huit jours de tranchée", avant de redescendre à l’arrière pour "le repos" (doc 2). Bien que toujours très inconfortables, les conditions de vie sont cependant meilleures et moins dangereuses dans les cantonnements de l’arrière. D’autre part, en règle générale, le risque indéniable de mourir ou être blessé dans les tranchées est relativement faible. Les grandes batailles comme Verdun ou le Chemin des Dames, où des milliers de soldats peuvent mourir en quelques heures, sont relativement peu courantes dans la vie des soldats : quelques jours ou quelques semaines par an, au plus.
Le document 2, quant à lui, date de l’offensive du Chemin des Dames (printemps 1917). Les soldats sont profondément déçus par l’échec de cette offensive, dont ont leur avait dit qu’elle permettrait de vaincre l’Allemagne, où ils ont dû "laisser [leur] peau" par dizaines de milliers "à Craonne, sur le plateau". Cet échec entraîne alors une vague de mutineries, les soldats exigeant que les généraux cessent de les faire massacrer dans des offensives inutiles. Ces exigences seront entendues par le nouveau général en chef, Pétain, qui s’efforcera dans la mesure du possible d’améliorer les conditions de vie des soldats et de mieux préparer les offensives.

Conclusion (facultative) :
La Première guerre mondiale, guerre totale, a principalement touché les soldats qui y étaient engagés. Bien que les soldats de 14-18 espéraient qu’elle soit la "Der des der", certains d’entre eux seront à nouveau mobilisés, 20 ans plus tard, pour un deuxième conflit mondial encore plus destructeur que le premier.